Le Cnam mag' #7 - page 43

mag'
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Portfolio
Un piano comme passerelle
entre l’Orient et l’Occident
Dans son édition du 1
er
juillet 1931,
L’Échos de Damas
rapportait qu’«
hier soir, une séance musicale
fut organisée par la jeune association La Philharmonie de Damas, à l’occasion de l’inauguration de
son premier domicile.
[On y]
admira notamment le jeu du virtuose Toufik Sabbagh et le rendement
du piano à quarts de tons créé par M. Abdallah Chahine
».
360 degrés
P
ropriétaire d’une maison de piano, accordeur de
claviers tempérés, pianiste, professeur de
musique... Abdallah Chahine a en effet poursuivi
toute sa vie un rêve : celui de concilier ses deux passions
en trouvant un moyen de jouer les quarts de tons, essen-
tiels à la musique orientale, sur son vieux piano droit,
symbole s’il en est de la musique occidentale. Après plu-
sieurs années de recherche, démontant et remontant à
de nombreuses reprises son piano, il parvint de ses
«
propres mains et avec les moyens élémentaires à
[sa]
disposition
», à trouver une solution mécanique à cette
épineuse équation et cela sans changer ni l’apparence
du piano, ni fondamentalement la pratique du pianiste.
Une trentaine d’années avant la désormais iconique
trompette «microtonale» d’Ibrahim Maalouf, inventée
par son père dans les années 60, une première passe-
relle entre les deux univers musicaux était donc lancée.
Une passerelle qui, d’ailleurs, n’avait rien d’anecdotique
puisque plusieurs musicologues de renom s’intéres-
sèrent de près au piano oriental. Louis Hage y voyait
ainsi un nouvel «i
nstrument oriental à clavier qui, autre-
ment que le kanoun ou l’oud, peut favoriser l’hétéropho-
nie ou même une certaine polyphonie orientale
» alors
que Jacques Chailley soulignait que «
l’ingénieuse sim-
plicité de son principe semble de nature à résoudre une
très grande partie des problèmes soulevés par la diver-
gence d’intervalles entre musique orientale et musique
occidentale
[et à]
aplanir les difficultés jusque-là inso-
lubles qui leur interdisaient jusqu’alors, sous peine de
perdre leurs caractères les plus essentiels, d’utiliser les
mêmes instruments
».
Pourtant, le décès d’Abdallah Chahine, le début de la
guerre civile libanaise puis l’arrivée massive des synthé-
tiseurs ne permettront jamais la production en série de
ce piano oriental, dont il ne reste aujourd’hui qu’un
prototype.
En exclusivité pour
le cnam mag’
, Zeina Abirached
nous parle dans les pages suivantes de son arrière
grand-père, Abdallah Chahine, inventeur du piano
oriental, dont la vie a largement inspiré celle de
Abdallah Kamanja, personnage principal de son
roman graphique.
Zeina Abirached,
Le Piano oriental
,
Casterman, 2015.
Comme beaucoup d’autres inventions dont l’extraordi-
naire récit de la création se transmet de génération en
génération, celle-ci aurait certainement pu, les années
passant, sombrer dans l’oubli. Mais, Abdallah Chahine
est aussi l’arrière grand-père de Zeina Abirached,
bédéiste et illustratrice franco-libanaise qui, après avoir
peint le Beyrouth de la guerre civile et celui de son
enfance, s’inspire largement de cette histoire familiale
pour son dernier roman graphique. Dans
Le Piano
oriental
, elle nous entraîne ainsi dans le Liban des
années 60 sur les traces d’Abdallah Kamanja, double
dessiné d’Abdallah Chahine, qui comme lui poursuit le
rêve d’inventer un piano permettant de tisser des liens
entre les musiques d’Orient et d’Occident... Mais, elle
nous livre aussi un récit double qui explore, avec humour
et tendresse, son rapport à ses deux langues mater-
nelles, le français et l’arabe, comme à sa double culture.
Rien d’étonnant donc à ce que ce roman graphique ait
été sélectionné pour le Grand prix du Festival internatio-
nal de la bande dessinée d’Angoulême en 2016 et ait reçu
le prix Phénix de littérature 2015 lors du Salon du livre de
Beyrouth.
Portfolio conçu et réalisé par YBoude
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