Le cnam mag' #9 - page 42

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mag'
Chronique
Juste une mise au ·
Depuis le dévoilement en 2015 de la
Convention d’engagement pour une communication publique
sans stéréotype de sexe
par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), de
nombreux ministères, établissements publics, collectivités territoriales... appliquaient les recom-
mandations liées notamment à l’utilisation de l’écriture inclusive dans une relative indi érence. La
dernière rentrée scolaire a changé la donne avec, au cœur du débat, la publication par les Éditions
Hatier d’un manuel scolaire où l’on pouvait par exemple lire que «
grâce aux agriculteur.rice.s, aux
artisan.e.s et aux commerçant.e.s la Gaule était un pays riche
».
D
écriée par certains comme «
une agression de la
syntaxe par l’égalitarisme
», célébrée par
d’autres comme un moyen de «
redonner de la
place au féminin
», l’écriture inclusive, ou plus exacte-
ment le point médian et son enseignement dès le plus
jeune âge, déchaîne alors les passions. Même l’Acadé-
mie française, dans une toute aussi officielle que raris-
sime déclaration, se lance dans le débat pour s’inquiéter
que «
devant cette aberration "inclusive", la langue fran-
çaise se trouve désormais en péril mortel, ce dont notre
nation est dès aujourd’hui comptable devant les généra-
tions futures
».
Une déclaration adoptée à l’unanimité de ses membres
le jeudi 26 octobre 2017. Deux semaines après la présen-
tation par Muriel Pénicaud, ministre du Travail, et
Marlène Schiappa, secrétaire d’État en charge de l’Éga-
lité entre les femmes et les hommes, du guide
Égalité
femmes-hommes : mon entreprise s’engage
1
à destina-
tion des TPE-PME qui non seulement utilise le point
médian mais le préconise pour «
délester sa communi-
cation des stéréotypes de sexe
» . Deux ans après la
publication du guide pratique
Pour une communication
publique sans stéréotype de sexe
2
du HCE, qui encou-
rage les pouvoirs publics à «
user du féminin et du mas-
culin dans les messages adressés à tous et à toutes
»
notamment grâce à l’utilisation d’un point entre les suf-
fixes masculin et féminin.
Le propos de cette modeste chronique n’est pas de
défendre le camp de celles et ceux qui décrient le point
médian ni d’ailleurs celui de celles et ceux qui le
célèbrent. Les enjeux liés à l’apprentissage du langage, à
l’accessibilité des textes aux personnes en situation de
handicap... dépassent en effet largement son cadre.
Mais plutôt de rappeler que le point alt+0183 – alias point
médian, milieu, élevé, d’altérité – n’est que le signe typo-
graphique qui cache la forêt d’autres préconisations
pour lutter contre les stéréotypes de sexe. Si bien que
limiter la communication inclusive à cette seule combi-
naison de touches sur un clavier, point de crispation de la
dernière rentrée, est aussi contestable que de réduire la
richesse de la Gaule à l’agriculture, l’artisanat ou le com-
merce – en occultant, par exemple, l’exploitation minière
des filons aurifères.
D’abord parce que le point médian, point d’appui de
toutes les critiques, ne concerne que l’une des préconi-
sations de l’écriture inclusive aux côtés de la féminisa-
tion des fonctions et métiers, l’emploi de mots épicènes
ou englobants, les accords de proximité ou de majorité...
C’est d’ailleurs le sens de la circulaire d’Édouard Philippe
relative aux règles de féminisation et de rédaction des
textes publiés au
Journal officiel
3
qui, certes, invite «
à
ne pas faire usage
[des]
pratiques rédactionnelles et
typographiques visant à substituer à l’emploi du mascu-
lin, lorsqu’il est utilisé dans un sens générique, une gra-
phie faisant ressortir l’existence d’une forme féminine
»,
mais systématise l’usage du féminin pour les noms de
fonction et le recours à des formules telles que « le can-
didat ou la candidate » – qui sont justement deux des
principes de l’écriture inclusive !
Ensuite, parce que la communication dépasse large-
ment le seul support écrit. Lutter contre les stéréotypes
c’est aussi éviter les illustrations véhiculant le rôle
attendu des femmes et des hommes ou proposant des
caractéristiques et attitudes physiques convention-
nelles, ne pas réserver les prises de paroles aux seuls
intervenants masculins, valoriser toutes les expertises et
diversifier les représentations...
Enfin, parce qu’une communication dépourvue de sté-
réotypes, ces croyances tantôt positives tantôt négatives
qui fixent des traits, des aptitudes, des rôles sociaux... à
des groupes ou à des catégories et forgent les normes
sociales, doit rester notre ambition commune. Et cela de
façon encore plus prégnante lorsque notre métier de
communicant se veut au service de l’ensemble des
citoyennes et des citoyens, et que l’on se fixe comme
objectif de répondre à l’intérêt général. Alors, avec ou
sans point médian, cette polémique ne doit pas mettre
un point final à notre engagement.
Yvan Boude
1:
Ce guide est
disponible sur le
site du ministère
du Travail.
2:
La seconde
édition de ce
guide pratique est
disponible sur le
site du HCE.
3:
Journal o ciel
du 22 novembre
2017.
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