Le Cnam mag' #8 - page 39

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en matière de compétences acquises et de savoir-être.
Ce dernier point détermine souvent la capacité des alter-
nants à rentrer en relation avec leur écosystème profes-
sionnel. Cela fait partie des transformations à l’œuvre
dans le monde de l’entreprise : la capacité de travailler
ensemble et de créer du lien est indispensable, plus
encore que les connaissances métier. Dans le monde du
tertiaire, la capacité à comprendre les codes de l’envi-
ronnement dans lequel on évolue est primordiale. Or
cette question est souvent absente des formations en
école.
Quels sont d’après vous les effets de l’alternance
dans la construction des savoirs professionnels ?
F. M.
: Tout au long de son parcours, l’alternant est
confronté aux savoirs que son métier implique. Il
importe que les démarches réflexives organisées tant
dans le milieu professionnel que dans l’organisme de for-
mation aient pour effet d’aider les alternants à transfor-
mer les savoirs multiples qu’ils rencontrent en
significations utiles pour penser leur agir professionnel.
La formation peut contribuer à l’émergence d’un savoir
en propre si l’alternant effectue un travail conscient
d’appropriation. Du côté des dispositifs de formation,
cela passe entre autres par des analyses de pratiques et/
ou des processus d’écriture réflexive dont on fait l’hypo-
thèse qu’ils ont pour effet d’avoir un rôle structurant
dans le développement des savoirs professionnels.
J.-F. I.
: Le jeune diplômé par l’alternance possède une
véritable avance grâce à sa connaissance du monde pro-
fessionnel. Sa démarche prouve sa volonté d’engage-
ment et sa curiosité. Par ailleurs, l’alternant est un atout
dans le monde de l’entreprise, où il apporte les dernières
nouveautés issues des recherches académiques. Il
remet en question les notions établies depuis longtemps.
L’adoption de ces nouvelles propositions est d’autant
plus aisée qu’il n’est pas dans une situation de concur-
rence avec ses collègues, grâce à son statut d’alternant.
Si la pratique est très ancienne, l’alternance n’a pas
toujours été parée de toutes les vertus comme
aujourd’hui. Qu’est-ce qui explique ce revirement ?
F. M.
: Si on considère l’apprentissage comme un véri-
table tremplin vers l’emploi, les formations via l’appren-
tissage restent entachées de nombreuses idées reçues
notamment en France. Jusque dans les années 80, cette
modalité est restée dédiée aux métiers dits manuels et
réservée aux jeunes en difficulté scolaire. Ce qui n’est
pas le cas en Suisse ou en Allemagne, par exemple.
Aujourd’hui dans une société malade du chômage qui a
tué le modèle du « tout école », on assiste à une ten-
dance de fond : l’injonction à la professionnalisation.
Dans l’enseignement supérieur, on se préoccupe davan-
tage de la visée professionnelle des formations.
L’ambition est de former des travailleurs-acteurs dotés
d’autonomie, des professionnels de haut niveau experts
dans leur champ d’activités et rigoureux sur le plan intel-
lectuel et éthique. À noter qu’en France, l’effectif d’alter-
nants après le bac a plus que triplé en dix ans. Pour les
employeurs, le diplôme, même le meilleur, ne suffit pas.
Il leur faut l’expérience en plus, d’où le revirement actuel
en faveur de l’alternance qui constitue, pour les jeunes,
un critère important dans le choix d’une filière dans l’en-
seignement supérieur.
J.-F. I.
: Il y a quelques années, l’alternance était consa-
crée à des diplômes peu élevés. Si aujourd’hui, les alter-
nances au niveau du master sont courantes, cette
modalité est hélas encore méconnue, et nécessiterait
une meilleure promotion.
L’adhésion à cette modalité est forte chez ProBTP. Ainsi,
les tuteurs renouvellent tous leur volonté de suivre un
alternant. Aujourd’hui, j’ai plus de demandes en interne
d’accueil d’alternants que je ne peux en satisfaire.
Les nouvelles pratiques professionnelles obligent-
elles à repenser les dispositifs de l’alternance ?
F. M.
: Pour les jeunes adultes, la confrontation au
monde du travail s’effectue dans des conditions particu-
lières : fort taux de chômage, accès à l’emploi de moins
en moins considéré comme stable, processus rapide de
modernisation technologique et des changements orga-
nisationnels. Les profondes mutations du travail et le
développement de nouvelles pratiques professionnelles
conduisent les acteurs à se former pour préparer une
mobilité professionnelle. Il y de plus en plus d’adultes en
reprise d’études en formation par alternance.
Avec l’apparition de nouvelles formes de management et
avec l’avènement du digital, les apprentis ou stagiaires
se retrouvent parfois bien seuls pour accomplir leurs
activités et se tournent de plus en plus vers les institu-
tions de formation. Les entreprises attendent d’eux des
résultats opérationnels sur des enjeux importants exa-
cerbés par des contextes de crise. On leur demande de la
recherche prospective, d’être autonomes, créatifs, orga-
nisés, disruptifs, de développer des compétences inte-
ractionnelles. Cela implique de repenser des dispositifs
en alternance offrant des médiations formatives qui ne
relèvent pas seulement de la simple transmission de
savoirs préalablement répertoriés et formalisés. Ces
médiations peuvent être aussi du soutien, de l’aide, de
l’étayage, de la collaboration.
J.-F. I.
: Nous percevons chez les jeunes un rapport au
monde du travail différent de leurs aînés. Ainsi, ils font
preuve d’une recherche de sens dans leur travail. Ils pos-
sèdent en outre des modes d’apprentissage renouvelés,
dont ils sont acteurs.
Propos recueillis par Aurélie Verneau
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