Le Cnam mag' #8 - page 21

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Trois questions à...
Si les femmes et les hommes peuvent accéder à
toutes les formations et métiers, peut-on parler d’une
réelle mixité et d’une égalité dans les activités
professionnelles?
On est encore loin de la mixité dans les métiers. Pour
l’obtenir, un ratio de femmes identique à celui présent
dans la population active (48%) devrait s’observer au
sein des différentes activités et fonctions profession-
nelles. Or seules trois familles professionnelles (regrou-
pant 4 % des emplois) affichent ce ratio. Cette
non-mixité s’accompagne d’inégalités professionnelles.
Par exemple, un tiers des femmes travaill en temps par-
tiel dont la très grande majorité est contraint, contre 7%
des hommes. Elles se voient alors imposer des salaires
réduits. Elles représentent ainsi 76% des personnes en
sous-emploi et 70% des travailleur·se·s pauvres.
Cette non-mixité et ces inégalités se tricotent en amont.
Selon le Centre d’études et de recherche sur les qualifi-
cations (Céreq), 60% de la ségrégation professionnelle
est produite par la ségrégation scolaire. L’orientation par
anticipation de la division sexuée du travail est, elle
aussi, sexuée. Ainsi, les filières réellement mixtes
restent rares. La mixité à l’école rendue obligatoire en
1975, a créé l’illusion de l’égalité des chances entres filles
et garçons. Aujourd’hui encore, les
filles ont des parcours d’études en
moyenne plus longs et plus rapides
que les garçons, que leur positionne-
ment sur le marché du travail ne tra-
duit pas.
Comment s’explique cette situation?
Filles et garçons sélectionnent des activités conformes
aux rôles de sexe assignés à chacun·e dans la société.
Tous les lieux de socialisation sont aussi des lieux de
transmission des normes du genre (normes de masculi-
nité/féminité) qui définissent les rôles de sexe. Par
exemple, les jouets ont un rôle important dans la
construction des différences de sexe en mobilisant des
compétences distinctes. Les jouets « garçons » favo-
risent la représentation spatiale et les jouets « filles», la
fonction symbolique.
Éduqués différemment, filles et garçons apprennent vite
que le « féminin» vaut moins que le «masculin» : c’est
la «
valence différentielle des sexes
», définie par l’an-
thropologue Françoise Héritier.
La plupart des enfants adhérèrent à cette «panoplie »
du masculin et féminin, qui façonnera leur identité et
leurs goûts de façon inconsciente. Ce consentement au
genre est sous-tendu par notre besoin de reconnais-
sance mutuelle, défini par le sociologue et philosophe
Axel Honneth. À l’adolescence, moment sensible de
remaniements identitaires, les choix d’orientation sont
instrumentalisés au service du genre, pour s’affirmer et
se faire reconnaître comme une vraie fille féminine ou
un vrai garçon masculin. En faisant des choix d’orienta-
tion jugés atypiques, les garçons encourent le risque
d’une double disqualification : identitaire (ne pas être vu
comme un vrai garçon hétérosexuel) et sociale (les pro-
fessions exercées majoritairement par des femmes sont
moins valorisées). Les filles quant à elles subissent une
double contrainte : faire aussi bien que les garçons, tout
en démontrant qu’elles sont restées féminines.
Que faire pour aller vers plus de mixité et d’égalité
dans le monde du travail ?
Les rôles de sexe sont peu remis en question car ils sont
vus comme l’expression de la complémentarité suppo-
sée naturelle entre les hommes et les femmes. Il faut
dépasser cette conception stéréotypée, laissant croire
qu’à partir de différences biolo-
giques, femmes et hommes seraient
en tout point différent. Désexuer les
rôles et les activités humaines dont
les métiers, c’est élargir le champ
des possibles pour les deux sexes.
Ce changement dépend d’une réelle volonté politique qui
impose une traduction dans les faits (comme la forma-
tion des acteur·rice·s de l’école et du travail pour arrêter
de diffuser via les pratiques pédagogiques et de mana-
gement les normes et stéréotypes de sexe au sein de
l’école et des entreprises).
Propos recueillis par Aurélie Verneau
Maîtresse de conférences en psychologie de l’orientation à l’Institut national d’étude du travail et
d’orientation professionnelle (Inetop) du Cnam et membre du Centre de recherche sur le travail et
le développement (CRTD), Françoise Vouillot travaille depuis des années sur la division sexuée de
l’orientation et du travail et les inégalités de sexe. Elle est également présidente de la commission
Lutte contre les stéréotypes sexistes et la répartition des rôles sociaux au Haut Conseil pour l’égalité
femmes/hommes et membre du conseil d’orientation du Laboratoire de l’égalité.
Actualités
Désexuer les rôles
et les activités humaines,
c’est élargir le champ des
possibles pour les deux sexes
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