Le cnam mag' #4 - page 14

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L’invitée de la rédaction : Hyam Yared
Pourquoi avoir répondu à l’invitation du Cnam?
Le Musée des arts et métiers montre l’impact de la tech-
nologie sur nos sociétés. L’écrivain, à son petit niveau,
touche par l’écriture l’individu et la collectivité. J’y ai vu
une réponse à mon approche de l’écriture et de la littéra-
ture. C’est également une chance de pouvoir écrire dans
ce lieu atypique. Je me sens chez moi à Paris. Cette ville
représente un lieu d’asile et d’exil où le Liban n’est jamais
absent. Néanmoins ici, je peux prendre une distance
intellectuelle, culturelle et géographique avec le milieu
dans lequel je suis née, où je vis et je travaille.
Vous écrivez depuis l’âge de 14 ans, pourriez-vous
décrire votre processus créatif littéraire?
Au départ, c’était vraiment une approche ludique de
pouvoir déstructurer des phrases, les recomposer
grammaticalement. Cet espace de créativité me permet-
tait de construire et de me sentir quelque part libérée
des structures figées que l’on nous impose dès l’enfance.
Cette passion m’est venue en découvrant la littérature
grâce à ma grand-mère à qui j’ai d’ailleurs consacré mon
deuxième roman
Sous la tonnelle
. Elle était d’une grande
érudition, les murs de sa maison étaient tapissés de
livres. Durant la guerre civile, sa maison était située sur
la ligne verte, point de démarcation entre Beyrouth Est
et Ouest, si bien que je n’ai eu accès à son incroyable
bibliothèque qu’une fois l’armistice signé. À l’âge de 13 ou
14 ans, j’ai évidemment découvert les grands classiques
comme Victor Hugo mais aussi des poètes comme Sully
Prudhomme, ou des écrivains comme Céline auxquels je
n’avais pas eu accès par un parcours académique.
Grâce à elle, j’ai noué un lien particulier avec les livres et
ils sont pour moi une source de richesse et
d’inspiration.
Est-ce cette quête de soi et de liberté qui fait que vous
avez choisi le métier d’écrivain?
Effectivement, c’est aussi une quête de mémoire en lien
avec la guerre civile que j’ai vécue, que j’ai encaissée
émotionnellement sinon organiquement. Si les morts et
les blessés n’étaient pas tabous, la verbalisation de la
guerre l’était. Et si on en parlait, ce n’était que par le
prisme d’une seule version, celle de la transmission de la
souffrance et non pas de la compréhension. Je crois qu’il
y a une paralysie qui s’est installée, un handicap auquel
j’ai cherché à échapper grâce à l’écriture et la lecture
d’auteurs qui ont écrit sur les conflits avant moi. Il existe
toute sorte de conflits affectifs, familiaux, qui viennent
se greffer aux conflits politiques. Dans mon cas, l’écri-
ture m’a permis de délier les nœuds socioculturels de la
guerre civile.
Quel est le fil conducteur de vos ouvrages?
La liberté, qu’elle soit civile, féminine ou individuelle
transparaît dans mes ouvrages. Je pense qu’il n’y a pas
de collectivité émancipée possible sans un travail déjà
personnel. Au Moyen-Orient, nous attendons notre
mai 68 même si de petites étincelles ont surgi au
moment des printemps arabes. Malheureusement sans
la maturité nécessaire, il s’agissait plus de révoltes
sociales et politiques qu’un véritable mouvement
d’émancipation. Ces questions sont vraiment au cœur
de mes romans, notamment l’impact du religieux sur le
politique. Le Liban a l’air d’être une démocratie mais
Mes romans sont ces espaces
où je rêve de pouvoir changer
les choses»
En séjour à Paris pour la promotion de son dernier ouvrage
Tout est halluciné
et surtout en rési-
dence d’écriture au Cnam, Hyam Yared, auteure d’origine libanaise est une militante de la liberté.
Rencontre avec une femme révoltée qui fait sou¯er un vent d’émancipation sur un Moyen-Orient
foisonnant.
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