Le cnam mag' #4 - page 38

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Histoire d’un formateur formé
par l’histoire
L’hommage au professeur Marcel Lesne comporte quatre temps successifs. Dans le premier, Mado
Maillebouis retrace aussi précisément que possible le parcours de cet homme modeste, «peu enclin
à s’exposer». Puis, la moitié du livre est occupée par un récit autobiographique inédit, suivi d’un
texte théorique peu connu,
Pour une sociologie de l’éducation des adultes
, datant de 1966. Enfin cinq
de ses anciens collègues et collaborateurs apportent leur témoignage personnel sur l’homme et leur
point de vue sur l’œuvre de celui qui fut le titulaire de la première chaire de Formation des adultes
au Cnam et «
un enseignant d’une trempe quelque peu inhabituelle
».
R
ien ne manque au tableau scolaire exemplaire de
cet enfant de la III
e
République. Issu d’une famille
de mineurs, il est suffisamment riche pour
n’avoir jamais pu prétendre à une bourse, et trop pauvre
pour que ses parents puissent offrir à leur deuxième
enfant de poursuivre, comme lui, une scolarité après le
certificat. Contraint par la mauvaise conscience à excel-
ler et à réussir rapidement dans ses études, Marcel, à 19
ans, est nommé instituteur de son village.
L’expérience marocaine
Il découvre l’ennui au service mili-
taire et enchaîne avec la mobilisation
de 1939. Fait prisonnier pendant la
débâcle, il séjourne dans différents
oflags, dont, par trois fois, il cherche
à s’évader. Il finit la guerre dans une
prison militaire en Allemagne. Cette
période de captivité lui apporte para-
doxalement une ouver ture sur
d’autres milieux, d’autres nationali-
tés, d’autres savoirs. Il continue,
comme il le fera tout au long de sa
vie, de se former grâce à ses codéte-
nus, dont Fernand Braudel, le plus célèbre d’entre eux,
qui jouera le rôle de mentor dans la suite de son cursus.
Il complète au retour de la guerre cette formation infor-
melle, qu’il fait prendre en compte pour l’obtention d’une
licence à la Sorbonne. Mais l’action lui manque et il
rejoint en 1946 un poste d’inspecteur de l’enseignement
primaire musulman au Maroc. «
Sans moustache, ni air
revêche
», il détonne parmi ses collègues. Il y acquiert
une deuxième compétence, administrative, qu’il mettra
en œuvre jusqu’à la fin de sa carrière. Il élargit aussi ses
horizons de l’école de la République à celle du protecto-
rat, différente par ses programmes, ses enseignants et
sa culture, dans un contexte où le nombre d’enfants à
scolariser croît fortement. Ce fut la période la plus heu-
reuse de sa vie où il sillonnait les routes de sa circons-
cription et fit la connaissance de son épouse Arlette, une
enseignante d’arabe.
Il reste au Maroc après l’indépen-
dance et entreprend une thèse sur
une t r ibu b e r b é r ophone , l e s
Zemmour, «
d’abord par curiosité,
puis par intérêt, enfin par passion
».
Braudel l’encourage à mener cette
recherche fondée sur sa pratique
professionnelle, qui ne se sera ni «
le
travail d’un perroquet ni celui d’un
chien savant
». La thèse « hors
norme » soutenue en 1959 est une
recherche caractérisée par la pluri-
disciplinarité et le long terme, tout
comme celle de son maître sur la
Méditerranée. Il complète ainsi son
profil par sa troisième et dernière facette, celle de
chercheur.
Il est appelé par le recteur d’Alger pour redonner un nou-
vel élan aux centres socio-éducatifs, fondés par
Germaine Tillon. Ils avaient pour vocation de faciliter
l’accès à l’éducation des populations autochtones, qu’on
disait « indigènes». Parallèlement, il est nommé maître
de conférences. C’est à cette nouvelle activité, qui le
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