Le cnam mag' #4 - page 35

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Grand angle
L’avenir de la coopération dans
le monde du travail sera-t-il
technologique ou coopératif ?
Co-bots
,
wikis
, et espaces collaboratifs… L’avenir de la coopération dans le monde du travail est-elle
uniquement technologique? Il semble qu’elle soit pensée comme telle, mais au-delà de cette vision
purement technologique de l’avenir, il ne tient qu’à «nous» de militer également pour des organi-
sations du travail plus coopératives, en rupture avec les organisations du travail classique… Cela ne
va pas de soi, car cela requiert une véritable « ingénierie» de la discussion et de la coopération qui
soit centrée sur le travail réel et ses évolutions…
«
L’avenir de la coopération dans le monde du tra-
vail » évoque d’emblée l’image de situations de
coopérations qui s’appuieraient sur des techno-
logies de l’information et de la communication (plate-
forme d’échanges en ligne, listes de discussion, forums,
wikis
…) ou des technologies robotiques (
co-bot
ou robot
collaboratif…). Preuve en est la centration technologique
importante, trop peut-être, du programme de l’Alliance
pour une industrie du futur. L’industrie du futur y est
pensée quasi uniquement en lien avec l’introduction de
ces technologies dans l’appareil industriel français.
Comme si le futur de l’industrie ne se devait pas de pas-
ser également, et surtout, par l’introduction de nouvelles
organisations du travail (de conception, mais également
de production) : des organisations de travail plus coopé-
ratives justement et en rupture avec les organisations du
travail plus traditionnelles (comme les organisations
néo-tayloriennes ou LEAN).
Mon propos n’est pas ici de nier le fort potentiel de ces
technologies pour soutenir le développement des
hommes et des femmes au travail, ainsi que celui des
organisations. L’émergence des technologies de l’Inter-
net a par exemple soutenu la construction de situations
coopératives à succès comme le développement des
communautés de conception de logiciels libres ou de
Wikipedia
. La conception de
co-bots
qui soient de réelles
ressources pour les travailleurs est porteuse d’un fort
potentiel de transformations positives des situations de
travail (en diminuant les sollicitations physiques d’opéra-
teurs de production par exemple). Cependant, ce poten-
tiel de développement n’est pas uniquement porté par la
technologie en soi, mais bien par la capacité qu’auront
les organisations à faire de ces technologies de réelles
ressources pour le travail : autrement dit leur capacité à
accompagner la conception de nouvelles situations de
travail, de nouveaux usages incluant ces technologies.
Le succès des communautés du logiciel libre n’est pas dû
uniquement à l’existence d’Internet, mais également à
l’élaboration de règles du travailler ensemble qui ont été
élaborées par les participants à ces communautés : la
participation ouverte et volontaire à la conception en
fonction de ses intérêts et de ses compétences, l’autono-
mie, l’entraide, le don contre don… L’intérêt de l’intro-
duction d’un
co-bot
(pour soulager un opérateur de
production de tâches pénibles) n’est rien si elle s’accom-
pagne d’une augmentation de sa cadence de travail, ou
d’un asservissement de ses tâches à celles du
co-bot
.
D’une vision d’un avenir de la coopération au travail pen-
sée uniquement en lien avec la technologie, on passe
alors à un avenir de la coopération au travail vue comme
un nouveau modèle organisationnel de conduite du
changement, et de management. Il s’agit alors de mettre
en place des espaces de coopération, certains disent de
discussion, incluant le management et les opérationnels,
qui permettent de penser le travail réel et de ses évolu-
tions, de co-élaborer une vision de ce travail réel, et de se
projeter vers ce que pourrait être un travail futur.
L’efficience de ces espaces ne va pas de soi : là encore il
ne suffit pas de mettre autour de la table des partici-
pants en leur demandant de parler de leur travail ou de
mettre en place un
wiki
pour qu’une co-élaboration
émerge comme par magie. Cela requiert une réelle
«ingénierie» de ces espaces de coopération qui s’appuie
sur des méthodes d’analyse du travail soutenant la
construction d’une réflexion collective et partagée de la
réalité du travail, mais aussi des méthodes permettant
de se projeter vers de futures situations de travail, de les
rendre réelles, pour penser les transformations et
prendre des décisions éclairées par la question du tra-
vail futur.
Plusieurs disciplines, dont l’ergonomie que je représente
ici, s’attellent à ces questions. Cependant un travail de
conviction des décideurs des organisations reste à pour-
suivre pour que la coopération dans la transformation
des situations de travail soit réellement le modèle orga-
nisationnel de l’avenir.
Par
Flore
Barcellini
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