Le cnam mag' #4 - page 34

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La reconnaissance au cœur des
attentes des salariés
En 1988, des milliers d’infirmières manifestaient pour réclamer une meilleure reconnaissance de
leur métier. Ce mouvement montre qu’au tournant des années 1990, la question de la reconnais-
sance commence à apparaître sur la scène publique dans un monde du travail marqué par les tenta-
tives de dépassement du taylorisme, l’e”ritement des collectifs et la mobilisation de la subjectivité.
Une vaste enquête qualitative menée auprès de salariés, de dirigeants et de représentants syndicaux
confirme la force de ces attentes de reconnaissance souvent déçues.
D
ans les années 1990, la reconnaissance a fait son
apparition comme objet de revendication dans
des groupes professionnels variés, comme les
infirmières, qui ouvrent le bal en 1988, suivies par les
agents en chambres mortuaires, les convoyeurs de
fonds, les pompiers ou encore les sages-femmes.
Au même moment, la reconnaissance devient un prin-
cipe de la critique du travail tout en étant considérée par
certains comme un levier de motivation dans les organi-
sations du travail post-tayloriennes. Pour les managers
et dirigeants, les attentes de reconnaissance des sala-
riés constituent en effet un réser-
voir d’engagement inépuisable
dont la maîtrise laisse entrevoir la
possibilité de contrôler leur impli-
cation subjective sans avoir à changer les conditions
objectives de travail ou mettre la main au portefeuille.
Pourtant, la reconnaissance s’impose également
comme un principe de critique du travail. Les sociolo-
gues du travail Florence Osty et Philippe Bernoux sou-
lignent respectivement le caractère « d’impensé
organisationnel » de la reconnaissance et l’importance
de l’appropriation de l’activité par ceux qui la font. Pour
Johannes Siegrist, expert des risques psycho-sociaux,
être reconnu c’est percevoir un équilibre entre les efforts
consentis et les bénéfices retirés. Le philosophe Axel
Honneth soutient quant à lui que seul un travail digne de
reconnaissance est moralement acceptable.
Ces trois usages, bien qu’irréductibles ont en commun
de rompre radicalement avec les conceptions du travail
comme activité instrumentale : le travail doit être ce qui
permet la reproduction matérielle de la société mais
aussi l’intégration sociale et l’expression individuelle.
Les attentes de reconnaissance exprimées par les
salariés
L’enquête qualitative réalisée en 2013-14 avec Olivier
Cousin, Dominique Méda, Laetitia Sibaud et Michel
Wieviorka dans des entreprises et des secteurs variés
auprès de salariés, dirigeants, représentants syndicaux
nous a permis une plongée au coeur des attentes de
reconnaissance, qui se déploient selon au moins quatre
registres.
Le registre de l’activité est déterminant car les salariés
ne parviennent pas à se sentir reconnus lorsqu’ils jugent
leur travail totalement absurde. Au contraire, une acti-
vité digne de reconnaissance comprend un début et une
fin, mobilise les capacités intellectuelles et procure le
sentiment de participer à un effort collectif.
Au sein du registre des relations, le rôle du management
est essentiel. Il s’agit, pour recon-
naître les efforts des salariés, de
connaître les contraintes de l’acti-
vité et de tenir compte, au-delà du
travail prescrit, du travail réel. Il s’agit aussi de favoriser
la participation des salariés à la définition de leur activité
et aux conditions de son exercice.
Les attentes de justice dominent la dimension de la rétri-
bution, qu’il s’agisse des promotions, des augmentations
ou même de l’obtention d’un CDI. Outre le sentiment
d’opacité des règles d’attribution, ces attentes se
heurtent à plusieurs dilemmes : faut-il reconnaître les
efforts ou les résultats? L’atteinte des objectifs ou plutôt
leur dépassement (il s’agit alors de «surperformer») ?
Le dernier registre rassemble les attentes d’individus qui
veulent être respectés en tant que personnes, qu’il
s’agisse du respect des règles de base de la civilité ou de
l’égalité de traitement, mise en péril notamment par le
sexisme et le mépris de classe.
Ainsi, la montée des attentes de reconnaissance –
autant que la difficulté des organisations du travail à les
satisfaire – témoigne de transformations (mobilisation
subjective, effritement des collectifs de travail, etc.) qui
font du sens une dimension essentielle à l’accomplisse-
ment de l’activité et à la préservation de la santé des
salariés.
Le travail doit être ce qui per-
met l’intégration sociale et
l’expression individuelle
Par
Maëlezig
Bigi
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