le cnam mag' #2 - page 19

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Actualités
Le doctorat se conjugue-t-il au
mode professionnel ?
Beaucoup d’études, et cela depuis plus d’une dizaine
d’années, montrent que les titulaires d’un doctorat en
sciences humaines et sociales (SHS) sont les plus affec-
tés par les difficultés à trouver un emploi qui ne soit pas
un déclassement. En effet, la thèse de doctorat, très mal
connue sur le marché du travail, n’est le plus souvent
considérée que comme une œuvre scientifique, inadap-
tée aux exigences de l’action, quand elle ne fait pas l’objet
d’une méfiance de la part des DRH qui ne voient en leurs
titulaires que des esprits critiques, toujours à «chercher
la petite bête» là où ce n’est pas utile.
Pourtant, les années consacrées à la
réalisation d’une thèse de doctorat
ne permettraient-elles pas de déve-
lopper des compétences utiles pour
intégrer le monde professionnel ?
C’est sur ce postulat que le Centre de recherche sur la
formation (CRF) du Cnam a engagé depuis 2012 une
série de recherches sur les liens entre réussite au docto-
rat et insertion professionnelle, déclinées en trois axes :
historique d’abord, en collaboration avec le Laboratoire
de médiévistique occidental de Paris (Lamop), de l’Uni-
versité Paris I et la bibliothèque Cujas, pour analyser
l’insertion professionnelle des doctorants depuis le
Moyen-Âge jusqu’à nos jours ; sociologique ensuite, pour
déterminer le rôle joué par les institutions universitaires
dans la perception purement théorique et coupée du
monde professionnel que renvoie bien souvent la thèse ;
épistémologique enfin, pour montrer comment le docto-
rant déploie des compétences professionnelles à travers
son parcours doctoral.
Dans ce dernier point, une réflexion s’est engagée autour
des premiers éléments observés, que ce soit par le
recueil des productions des doctorants ou par des entre-
tiens menés avec eux, illustrée par deux exemples cités
dans un premier ouvrage sur la question : la prise de
note lors de la lecture d’ouvrages de référence et le
recueil de données.
Souvent perçu comme enfermé dans les concepts intellectuels qu’il construit autour de son sujet
de recherche, le doctorant, et plus particulièrement celui en sciences humaines et sociales, n’in-
téresse que très peu les recruteurs. Pourtant, au cours de ses années de recherches, n’aurait-il
pas développé des compétences utiles, voire extrêmement précieuses, dans le cadre d’une activité
professionnelle?
Tout au long de leurs thèses, les étudiants prennent des
notes à la lecture d’ouvrages de référence, non plus pour
faciliter l’accumulation de connaissances, comme c’est
le cas avant l’entrée en thèse, mais bien dans le but de
faire une synthèse raisonnée et exhaustive de l’état des
connaissances sur le sujet traité. Cette démarche d’ex-
ploitation des références, parfois dans des domaines
éloignés du sujet central, vise à nourrir la réflexion pour
proposer une conception originale du sujet, souvent dif-
férente des présupposés de départs, passant par une
adaptation de la pensée de l’étudiant à celle d’autrui.
Cette compétence de synthèse, mais
également de mise en relation et de
mise en résonnance des points de
vue, ne pourrait-elle pas constituer
une compétence-clé au sein d’une
entreprise?
Le travail de thèse en sciences humaines est également
un travail de terrain, destiné à recueillir des données
dont le traitement relève d’une compétence tout aussi
particulière. En sciences sociales, les données sont des
faits sociaux sur lesquels il faut pouvoir porter un regard
analytique. De ce processus naît une véritable capacité
d’interprétation scientifique des origines de ces faits.
Ainsi, aux croyances qui sont le plus souvent invoquées
pour décrire ces phénomènes, le doctorant est en capa-
cité d’opposer une interprétation prudente, s’appuyant
sur l’analyse et décrivant de manière scientifique cer-
tains événements observés.
Comment ces compétences de respect du terrain et des
faits, cette prudence dans les possibles interprétations
et cette capacité de préservation des relations sociales
pourraient-elles ne pas séduire une entreprise, dont les
enjeux externes et internes lui imposent constamment
de disposer de réels talents humains?
Françoise Cros et Edwige Bombaron
Formation
De ce processus naît une véri-
table capacité d’interpréta-
tion scientifique des origines
de ces faits.
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